dimanche 24 octobre 2010

LE FANTÔMIME (suite)

Scène II: même décor; pluie qui fouette les fenêtres; vent qui hurle; lumière verdâtre par la porte qui se reflette sur le portrait. Tout le bruit vient du dehors.
LA CHOSE NOIRE ET RAMPANTE,tout bas, presqu'invisible derrière la table: Je sais, oui. Je l'ai toujours su. Tu auras du mal à le croire mais c'est comme ça. Hé oui, à toi seul je me suis révélé tel que j'étais et sans te polluer de mes commentaires mal venus, pour une fois. J'ai été tout à fait honnête, juste pour t'être agréable. Quoique je ne t'ai probablement pas été agréable. Et que c'était davantage dans le but de moi-même me rendre à moi-même moins vil-j'éspère que tu pourras me pardonner. Ce que tu as vu. A ton tour, veux-tu savoir. J'attends. Non? Très bien. Mais ne t'attends plus à ce que je te sois encore aussi complaisant, à l'avenir...

LE TRANSISTOR, grésillements; musique discordante; voix de présentatrice: RRRRR... "Neuf heures à Babylone, à RRRR Bavobylonav, " oeuvre du grand poète et compositeur... RRRR (rupture)

LA CHOSE NOIRE ET RAMPANTE: Voilà autre chose. Où étais-tu, toi, pendant toutes ces années? Je croyais que tu m'avais abandonné pour toujours pour ton...(il hésite.) Ton... ça n'a pas d'importance. De toute façon ça ne te fera pas revenir. De toute façon tu ne m'écoutes pas. Tu es déjà repartie. Voulais-je te parler un instant, un seul? Tu n'en as rien à faire.
(Murmures venant de la porte. Fouillis.)
Les revoilà, pour me tenir compagnie, c'est tout ce qu'ils savent faire. Ils n'ont aucun respect, ni pour les morts ni pour la tranquillité.
(Murmures de plus en plus. Fouillis.)
En absence du maître, ils font tous n'importe quoi. Moi-même, parfois, je me trouve plutôt ambivalent...
(Il se cache sous la table. Entrent Argarite et Brunois)

BRUNOIS, voix sifflante: Ouf! Tu as vu ce temps. Heureusement que j'ai eu l'idée saugrenue de revenir ici.

ARGARITE: Oui. Le temps était terrible. Nous n'y pouvions rien, vraiment. Mords-moi la main, Brunois,  jusqu'à ce qu'elle saigne.

BRUNOIS: D'accord! Tu as eu une bonne idée!

AGARITE: au contraire, c'est une mauvaise idée, je plaisantais.

BRUNOIS: Tu as eu tort de plaisanter, Agarite. La dernière fois tu as failli nous faire mourir!

AGARITE: Tu confonds, je crois, avec la dernière fois que tu as voulu éloigner de nous tout problème et que tu t'y es mal pris, en plus de ce que c'était simplement une mauvaise idée.

BRUNOIS: Tu exagères! Tout n'était pas de ma faute! de plus, c'était ton idée. Et elle était excellente, juste très mal conçue. Excellente, tout de même. Je dois le reconnaître.

AGARITE: L'idée de base émanait de toi tout de même. Reconnais-le!

BRUNOIS: Meilleure que celle de venir nous réfugier ici, chez la mère supérieure. Elle n'est jamais là! Elle nous aurait raconté une histoire!

AGARITE: Ca n'a pas trop d'importance, si elle nous racontait une histoire, je suis sûre qu'elle t'embêterait. Une religieuse, ça n'amuse, ça ne se fait respecter des gens comme nous que si ça a des histoires bien répugnantes à raconter; je ne sais pas si elle...

BRUNOIS: Elle... Je ne sais pas si elle en avait mais elle aurait pu tout de même. Laissons tomber. Cherche des débris de vieux draps, de quoi nous faire un lit.
(Agarite cherche à travers la pièce; elle arrache un drap sur un meuble; étonnement. Ainsi de suite avec plusieurs meubles.)
C'est plutôt bien en fait, je n'avais jamais remarqué! (Silence prolongé. Ils s'asseillent chacun dans un fauteuil et semblent s'endormir.)

LA CHOSE NOIRE ET RAMPANTE, sort de sous la table: Et voilà, nous voilà gâchés de nouveau. Si ce n'est physiquement, c'est moralement que nous serons morts dès ce soir. D'où venait-il, ce dernier? Qui l'avait invité? Pas moi, c'est la seule certitude que je peux me permettre. Il ne sait pas, non... Et pourtant je regrette presque qu'il soit reparti.
                                    Fin de la scène II

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