samedi 16 octobre 2010

Aventure de tombeau: une aventure de Bastilde

   Bastilde, résidant au fin fond des fonds bas de la ville de C***, est un sinistre parasite; il n'a donc aucunement la place que je ne lui accorde qu'à regrets et pour la seule raison qu'il m'en a supplié avec l'argument que lui n'avait ni bras ni jambe et ne savait pas se servir d'un clavier. Il se croit un squelette. Mais il ne se crut pas toujours un squelette. Un temps il se crut un Nain; un autre, il fut persuadé d'être ce qu'on appelle quelqu'un de normal. Son penchant macabre ne commença que lorsqu'il se mit en tête de ne plus visiter les catacombes comme d'autres visitaient à l'époque où il a vécu, des zoos à humains. Voici la raison du moins que l'Imprudent me donna de ce brusque changement d'attitude; comment il cessa de considérer les squelettes comme une race inférieure...
"Il ne vit que trop, bien trop et trop tard encore, bien trop tard, le squelette qui lui faisait face. Il était étrange. Il était immobile comme le sont les squelettes et les morts en général, mais malgré l’épaisse croûte de poussière noire qui le recouvrait, on devinait qu’il n’était dans cet état que périodiquement, pas toujours ; pire : qu’il affectait cette pose particulière à ceux de sa condition ; restait à savoir si ces derniers affectaient sincèrement, pour ainsi dire, le rôle et la pose de cadavres, d’objets sans vie et désarticulés, ou s’ils étaient, ce qui était plus grave, solidaires, en quelque sorte, de ce squelette-ci ; si donc ils étaient semblablement possiblement vivants, à même d’entendre, d’éprouver, de ressentir ; si en somme ce squelette-ci n’était pas l’exception qu’il avait semblé être et qui avait effrayé d’abord, comme quelque chose d’anormal, de monstrueux. Bastilde recula, effrayé et dégoûté à la fois à la pensée que le squelette pouvait avoir entendu ses remarques désobligeantes, qu’il avait pu les comprendre et en éprouver du ressentiment, et peut-être concevoir une revanche, pire, pire s’il était en effet solidaire des autres squelettes, qu’ils pourraient non seulement se le dire mais encore se rassembler et préparer ensemble cette revanche… Il voulut se rassurer en se disant que le squelette ne pouvait pas se déplacer, ni pour ameuter ses « semblables », ni pour accomplir l’acte basique de la revanche ; mais à peine s’était-il dit cela qu’il entrevit l’affreuse possibilité selon laquelle le squelette pouvait crier. En criant, il ameuterait ses semblables et c’en serait fini de Bastilde. Fort heureusement, pensa ce dernier, pour le nombre de fois où l’on a tenu des propos désobligeants devant un squelette, et qu’aucun n’a jamais crié, on peut considérer que la chose est impossible. Mais à peine avait-il mis en place bancalement cet argument raisonnable, que le squelette cria ; du moins le crut-il. Il pria pour que ce soit seulement un squelette susceptible, que ceci serait sans suite, ou bien que le squelette avait crié pour une toute autre raison. Mais s’étant dit cela, il s’aperçut que c’était lui qui avait crié, lui-même. Du moins chercha-t-il à s’en apercevoir, à s’en persuader. Il ne voulut plus se dire autre chose, que cela et que ce qu’il valait mieux laisser les morts à leur respectable place ; et saluant les restes momifiés avec une obligeance superstitieuse, il passa son chemin dans le catacombe."    
 "Le squelette est, mon ami, une bien étrange créature de laquelle il est bon de se méfier... d'autant plus infiniment plus, que certains se trouvent à l'intérieur de nous... et nous susurrent à l'oreille, à laquelle par un flagrant défaut de nature ils ont un accès direct, qu'ils sont nos amis...
 "Pardonne si j'achève un récit qui me tue: ce qui me fait le plus de mal est de savoir qu'il me survivra... pire; qu'il vivra après moi... Le traître! je n'écoute pas ses conseils empoisonnés, ainsi que chacun de civilisé en devrait user. Je le casse souvant pour lui apprendre quoi même que par une vengeance abjecte sa douleur soit mienne aussi... Mais rien n'entamera ma volonté."

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