jeudi 21 octobre 2010

Aventures maritimes

Féru d'inertie je vis pourtant de multiples fois les ports, malgré vents et marées qui est-ce la meilleure ou la pire occasion de le dire, m'y voulaient retenir une grosse partie de ma vie sur terre. C'est-à-dire en ce bas monde! Ce n'est comme vous l'aurez compris, qu'une simple expression. Le grain en vérité et autres amabilités du ciel me retenaient non seulement loin des océans mais encore loin des côtes et en fait de toute étendue d'eau. C'est dire si je suis léger tant en acte qu'en masse. Je m'engageai d'ailleurs, ou pourtant -je ne sais-, dans l'équipage d'un vieux baleinier dont l'arachnéenne mâture emmêlée dans les câbles et haubans de ses voisins pleins d'irrespect, s'élevait haut dans les cieux figés comme une affreuse aquatinte vomie par quelque mauvais peintre, et le tout avait la même odeur de graisse pourrie de vieilles baleines catharrheuses. J'avais choisi ma galère avec soin pensais-je, quoiqu'avec l'inexpérience de mon âge ( alors j'avais dix-sept ans). Et pour d'autres qualités que son parfum ou ses voiles. D'ailleurs c'était aussi un vapeur. J'avais longuement observé, au contraire, loin au fond de ses entrailles, la forme de sa quille et de sa coque et elles m'avaient parues satisfaisantes voici comment.
Un navire à cale en forme de larme est bien plus rapide que n'importe quel aéroplane, même les plus anciens. Visitez la cale en forme de larme d'un navire: du moment que vous n'avez accès à aucun hublot, vous ne verrez rien et vous pourrez quitter le port en ayant la conscience tranquille sur le point que vous ne le quitterez jamais. L'effet est comparable à celui de l'éther lorsqu'on s'y trempe; vous êtes fidèlement réel et vous savez raisonnablement le contraire. Un navire bien conçu ne porte pas sur l'eau, car il n'y a pas d'eau; il porte là où il semble utile qu'il porte. C'est-à-dire n'importe où. Nous mîmes les voiles sans penser à cela, ni à rien d'autre qu'à la liberté. Trois jours durant nous voguâmes loin devant, inconscients, pleins d'espoirs.
 Or la cale du navire n'avait pas la forme d'une larme mais d'une goutte; son pilote était pour comble de malchance atteint de la goutte volante d'où ce que non seulement le navire fit naufrage mais encore...
Il s'envola. Nonobstant son impressionnant tonnage il partit en vrille et notre second se décida à nous saborder.
Mais restons sérieux: toute volonté qu'en ait sa carcasse pourrie, ce tas de ferraille ne put pas même atteindre la brume qui baignait comme une huile blanche baveuse à la surface déchirée des flots. Tout, à la vérité, semblait perdu pour nous car l'eau était bien réelle ainsi que me le prouva aussitôt mon microscope, et elle nous submergeait telle une moisson de débris de planches de voiles et de marins. Comme j'achevais un modèle réduit de notre navire quelque chose d'improbable se produisit: l'original fit un demi-tour dur lui-même, verticalement, et sans l'intervention d'un dieu ma maquette était perdue. Les vagues se brisaient désormais à grand fracas contre les mâts sans parvenir à les briser. Tout le monde à bord vomissait, et ceux qui ne le faisaient pas étaient malades à cause de l'odeur et joignaient leurs propres et sales entrailles à la marée commune; chasser cette épouvantable odeur par les hublots était impensable aussi dus-je utiliser un vieux harpon à baleine. Ceci était réputé imprudent et la suite me le prouva douloureusement.
   En effet une baleine mêlait ses tonitruants remugles bêlants et grondants à l'ardeur épouvantable des flots déchaînés; je ne sais si elle avait reconnu  surtout en pleines ténèbres aqueuses et gerbantes la profession de ce qu'elle attaquait ou si simplement elle était d'une humeur à détruire un vaisseau; ou si tel l'océan déchaîné elle détruisait à l'aveuglette ce qui passait pour ainsi dire sur son ventre énorme...
  Son oeil unique, minuscule lanterne blanche dans les profondeurs néantiques, nous fixait sans éclat mais avec folie, comme un calamar...
     Si la suite intéresse, elle viendra.
     Le Néant marin que nous affrontâmes, veut-il savoir comment encore je médirai de lui, avec quelle nouvelle perfidie j'abaisserai son image; il n'aura qu'à attendre lui aussi la suite.

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