vendredi 28 janvier 2011

Passez par la porte

Les portes; elles sont en quelques circonstances des ouvertures et, la plupart du temps, ce ne sont que des murs bêtes et simples. Et il me faut croire que ce sont des ouvertures, que, si je le voulais, elles pourraient toujours l'être, qu'elles ne le sont pas toujours uniquement pour me protéger des ennemis et des épidémies.
   Toi, dont le loisir est de condamner les portes par des bandes de plastique: pour qui te prends-tu? Pour qui se prendre? Pour qui voulez-vous que tu te prennes? Croit-il donc qu'il possède chez lui la vérité, la seule ouverture donnant sur le vrai jardin, ou la vraie rue, ou même la vraie mort? Et même si tel était le cas, on pourrait lui dire: bravo, félicitations, et s'en tenir là car il y en a beaucoup d'autres, beaucoup trop pour qu'il soit possible de toutes les essayer; beaucoup trop pour qu'aucune ne donne sur quelque chose d'appréciable; voire même de supérieur à la prétendue découverte de l'insolent. Qu'on en trouve une sans plus tarder, qu'on trouve tout de suite une perle du genre, et la plus rare possible, pour pouvoir dire au stupide petit prétentieux: "Ah, je déteste les fanatiques dans ton genre!" Autrement, avant une telle découverte, il est tout aussi possible et vrai de lui dire la même chose, mais ce passera trop évidemment pour de la jalousie.
   Le pire est quand même d'ouvrir une porte au hasard, même si elle ouvrait sur les plus hauts niveaux de la sagesse; et cela je ne le dis que par dépit peut-être, sans pouvoir plus rien atteindre que ce qui se présente devant moi, de quelque côté que je me tourne; tout comparable, passable, ne serait-ce que parce que je l'ai sous les yeux; quoi même qu'après une seule de ces portes en nombre infini, il se trouve encore une infinité de portes; une autre infinité, bien distincte; et que peut-être il en est ainsi tout le long -mais si l'on se fixait pour objectif de tout franchir, alors on ne verrait plus les merveilles que l'on traverse; l'espace, qui est quand même un espace, qui peut être extrêmement vaste, qui sépare deux portes. Et alors on ne verrait plus que celles-ci. Evidemment, on ne voit plus non plus alors passer l'infini des steppes pleines d'accidents de terrain, on ne voit plus ses pieds saigner et pourrir ni ses cheveux toomber ni son nez se creuser ni sa tête se vider du peu qu'elle contient; on sent par contre certainement le désespoir prendre la place qu'occupaient autrefois en proportions variées la connerie et le fol espoir.

1 commentaire:

Monsieur a dit…

Il y a l'ombre de Kafka qui rampe.
Beau texte, surtout vers la fin.
Et on sait à quel point faire une conclusion satisfaisante est dur.