samedi 15 février 2014

L'enterrement de la chèvre

L'oeuvre de Prokofiev contient au moins deux enterrements carnavalesques, et ces deux-là le sont pour deux raisons opposées. Le premier est, dans Roméo et Juliette celui d'une personne noble, d'où un cérémonial et une pompe qu'on imagine à la musique être un peu spectaculaire. Il s'agit d'un sarcophage en or massif portant en plus des armoiries de la famille et des ancêtres composées en pierres précieuses, trois gisants de Tybalt, et une statue équestre de lui, ainsi qu'une autre statue représentée en prière; les cinq alternent des yeux d'or, d'émeraude et de rubis. Le tout, énorme, repose sur 60 colonnes, soit 15 par éléphant, parce que oui quatre éléphants son nécessaires à porter l'affaire tout le long des grandes artères de la ville, tendues de noir en l'honneur du défunt avec des larmes et des crânes brodés en argent. Le cortège se compose de 3000 gardes suisses, musiciens, écuyers, gens d'armes divers, lansquenets et pleureuses mécaniques.
   Le deuxième est l'inverse de celui-ci: dans Chout, si j'ai bien compris ce qui est loin d'être prouvé, un bouffon, qui a déjà réussi à faire que ses collègues tuent leurs femmes en toute bonne foi, voit arriver un riche marchand qui cherche à se marier; il complote donc à les avoir une nouvelle fois. Il double les filles de ses collègues et, déguisé en fille, se fait élire par le marchand. La nuit venue, il veut naturellement s'échapper de la situation qui devient dangereuse, et pour cela il substitue très logiquement une chèvre à sa personne. Dans le tumulte qui suit l'affaire ladite chèvre est tuée; étant donné que c'était en somme une jeune fille transformée en chèvre (alors qu'il n'y a aucune jeune fille), ils décident de l'enterrer. La musique est alors étrangement solennelle et poignante. Assistance réduite et intime :)